Walid Ben Ghezala
Chambre(s) Noire(S)

Décembre 2020 I Janvier 2021
La Boîte I Un lieu d’art contemporain

« Un peu comme un dernier geste, la scène se fabrique à chaque fois dans un temps difficile à devancer. Ce serait le temps d’un retour, ou d’une halte un peu plus prolongée que d’habitude, mais qui ne laisse pas moins planer l’impression d’une abolition du jour. Au point où il en est, Walid Ben Ghezala n’exclut pas qu’une certaine fatigue s’empare de lui et que l’épuisement rattrape ses pas. Et si une ouverture se dessinait sans rien de ferme sous ses pieds ? Il faudrait pour cela qu’il retire de sa disponibilité le peu qu’il y aurait encore à en retirer, et qu’il consente à ne photographier parfois que la nuit. Seul au milieu d’autres solitudes, fantômes ou colocataires, le voilà entre quatre murs pour quelques heures de répit nocturne : une chambre, la sienne, ni trop grande ni trop petite, qu’il regagne à pas lourds, épuisé sous le rouleau compresseur des travaux et des jours, à peine debout encore ou aplati sous les exigences blasées de la routine. Les photographies qu’il en tire ne sont pas pour autant de celles que l’on pourrait voir chez des jeunes en quête d’une chambre à soi. La seule chose dont on puisse être à peu près sûr, c’est que la démarche de Walid Ben Ghezala accomplit en réalité un tout autre travail que celui d’en faire le tour du propriétaire. Sans protocole particulier, mais non sans contraintes non plus, il procède en variant un peu son système. Sous l’œil mécanique de son appareil argentique, il alterne franchise et demi-ton, épure et raté, prises de vues spontanées ou construites, frontales ou de biais, distantes ou proches au gré des circonstances. Seulement voilà : pas plus qu’il ne se fait observateur de camera obscura, il ne cherche à cocher au vol des sensations, des impressions, des bouts de perceptions forcément subjectives. Sa pratique photographique œuvre sans se soucier d’un leurre sur le réel. Mais c’est à l’envers d’une mise en lumière qu’il procède. Certes, le regard, le nôtre, s’y invite d’autant plus que chaque prise, bien avant qu’elle ne soit tirée et devienne image, amorce à sa manière un récit possible. Toute une histoire est peut-être là, en germe Mais ce n’est pas dans les marques d’un passage ou d’une occupation qu’il faudrait la rechercher.  Devant les photographies de Ben Ghezala, nous sommes en effet loin du désordre qui court dans l’ordre ; bien loin encore des confortables décors d’un « chez soi ». C’est d’une solitude convoitée et maintenue à distance que nous parlent ces images. Mais si elles semblent dire bien des choses, la possibilité de narration qu’elles déploient ne promet rien d’avance, Ce n’est sans doute pas parce qu’un récit articulé serait trop compliqué, mais parce que le cliché réinvente à chaque pression de doigt une autre façon de saisir l’ intimité par son côté troublant. Et tout dit ici que Walid Ben Ghezala a fait son crédo d’une photographie à la première personne, mais sans drame pour autant. En photographie, on le sait, ce n’est pas tant le sujet qui compte que, bel et bien, et parfois plutôt mal, la manière de dire les choses, de les laisser apparaître ou de les cacher. Ici, l’image est prise sans forcément une histoire en vue ; à moins d’être une fiction égarée si elle ne remettait d’une nuit à l’autre le jour de l’éveil. L’agencement, fait de sautes et de riens, s’est imposé après coup. Et si, dans sa discontinuité, il emprunte au journal intime, c’est moins parce qu’il en adopte la forme que parce qu’une part de la mise en orbite des images épouse la continuité d’une écriture tout en acceptant les raccords improbables de part et d’autre d’une respiration. Entre la récurrence de certains gestes ou cadres en autant de parenthèses ouvertes, et la manière dont chacune de ces images s’emboîte à sa juste place, rien n’empêche le regard de glisser en aveugle. On dirait une chambre noire, ou presque. Entrons-y alors, en silence. »

Extrait du texte de Adnen Jdey

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