Ismaïl Bahri

23 Juin > 23 Septembre 2022

J’écris ce texte vingt jours avant l’ouverture de l’exposition. Je suis dans l’antichambre, pressé de la voir prendre forme. J’ai toujours aimé ces moments d’attente, à préparer le moment intense du montage. En attendant, j’écris pour partager avec vous certaines des intuitions qui ont construit l’exposition et pour évoquer un peu les travaux qui la constituent.

Exposition -Ismaîl Bahri - la boîte - video -filmaker

Vidéo

Cette vidéo part d’une observation faite un jour de tempête. En regardant le vent emportant le sable au sol, j’ai eu l’impression de voir un film, ou plus précisément, une pellicule de film défilant à une vitesse inouïe et emportant avec elle grains, poussières et matières.

Face à ce paysage, je me souviens avoir pensé à l’intérieur d’une caméra analogique, l’imaginant comme une boîte contenant une tempête de grains et de pixels.

Filmer le vent a ceci de particulier que le filmeur respire le vent qu’il filme. Il l’inspire, l’expire ensuite (rendant le vent à la caméra), pour l’inspirer à nouveau. Cette idée m’a retourné l’esprit et je rêve depuis d’un geste filmique débordant l’organe optique. J’aimerais filmer avec tout le corps, en ingérant et en inspirant la matière enregistrée. Je sais que c’est ambitieux. J’y arrive à peine.

J’ai filmé en laissant mon corps s’affecter par ce qui l’entoure. La tempête m’emplissait les yeux de sable, m’aveuglait à mesure que je filmais et, plus que jamais, l’endurance a atteint une limite. La fatigue a éteint la caméra.

Le film est aride et abrasif. Ça frotte comme quand on touche une surface rugueuse qui gratte la peau et pique les yeux. Le vent porte en lui une inquiétude. Il enivre et épuise. La tempête désoriente, emporte tout, et la caméra, je crois, a enregistré l’effondrement des repères.

Mur

Le mur construit dans l’espace a son importance. Ce n’est pas une cimaise d’exposition mais un bloc, un poids, une masse. Côté face, ce mur est l’écran sur lequel est projeté le film. Il donne une verticalité à ce bloc de sable qu’il soulève et pose face à nous. Côté pile, il repousse le son et, de toute sa masse, abrite une petite sculpture.

Sculpture

Cette sculpture est posée dans une niche. Il s’agit d’une forme enroulée sur elle-même faite d’un prélèvement du sol du jardin de ma maison d’enfance. Un adhésif est chargé du sol avec lequel il a été mis en contact, un peu comme une bobine de film imprime ce à quoi elle est exposée. Cette sculpture est un enregistrement.

Certaines personnes m’ont dit qu’elle ressemble à un nid. J’aime bien cette comparaison. Les nids sont de brindilles repliées autour d’un point du paysage moulant le corps de l’animal. Ce point choisi pour abri est fait du monde environnant. D’un point de vue sculptural, ce rapport entre étirement et recroquevillement me fascine.

Petite pièce

Dans la petite pièce, qui était à l’origine l’un des bureaux de l’entreprise, j’ai pensé reconstituer un espace de travail entièrement repeint en blanc. Une table est installée au centre et donne à voir les restes d’une longue activité.

Les restes que produit tout travail m’intéressent de plus en plus. J’ai souvent en tête les chutes de bobines que l’on retrouve autour des monteurs de cinéma ou les copeaux de bois que laisse le menuisier derrière lui. Mais on pourrait élargir cela à toute pratique. En ce qui me concerne, j’ai remarqué que tout film fabrique quelque chose qu’il délaisse aussitôt le tournage fini. Depuis quelques temps, j’essaye d’apprendre à voir ce que le travail laisse dans son sillage. Parfois, je repars de ces chutes pour créer de nouvelles choses. Elles deviennent mes nouveaux repères utiles à de nouvelles chutes et ainsi de suite…. C’est un peu ce que je tente ici : je réactive les restes d’un film, sans montrer le film et trace les contours d’un corps absent. Un peu à l’image d’une main négative.

Un ami à qui je racontais cela m’a fait cette remarque que je trouve drôle mais que je prends très au sérieux : « Le rêve serait que toi, l’artiste, tes gestes et tes films s’effacent ». Ce serait peut-être idéal…

Ismaïl Bahri, 4 Juin 2022.

Biographie Ismaïl Bahri 

Vit et travaille entre Paris et Tunis.

Placer une feuille de papier battue par le vent devant l’objectif de sa caméra, ralentir la chute de gouttes d’eau en les faisant glisser le long d’un fil, observer le reflet de la ville dans un verre rempli d’encre tenu à la main en marchant : Ismaïl Bahri effectue des gestes élémentaires, empiriques, et prête attention à « ce qui arrive », à ce que ces opérations lui font faire. L’artiste se positionne en observateur, il tâtonne, parle de « myopie » pour son travail. Il met ensuite en place ce qu’il nomme un « dispositif de captation » de ces gestes, utilisant le plus souvent la vidéo, mais aussi la dessin, le son, l’installation, sans spécialisation. C’est bien souvent à la périphérie du regard qu’émerge du sens, dans la présence indicielle du monde environnant qui affleure et révèle sa présence. (François Piron)

Le travail d’Ismaïl Bahri a été montré dans plusieurs lieux tels que le CAPC (Bordeaux), le Jeu de Paume (Paris), le Centre Pompidou (Paris), la Verrière (Bruxelles), Musée IVAM (Valence), le Forum (Tokyo), le Beirut Art Center (Beyrouth), la Staatliche Kunsthalle (Karlsruhe) entre autres. Ses vidéos ont été sélectionnés dans des festivals tels que le TIFF (Toronto), le NYFF (New York), le IFFR (Rotterdam), le FID (Marseille) et le Kunstenfestivaldesarts

(Bruxelles).

Exposition à La Boîte

Juin 2022.

Ismaîl Bahri - biographie - la boîte

Ismaïl Bahri

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